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Piqûre

Le 9 juillet, j’ai fait ma troisième piqûre d’anticorps. Mon frère étant deux jours en congé, il m’a proposé de m’accompagner. Quelle délicate attention. Je lui avais bien sûr parlé de LA secrétaire, j’appréhendais de la revoir, toujours vexée et choquée de son comportement deux mois après. Ma maman et mon prince m’ont dit de ne pas penser à cela mais quand j’ai dit à mon frère : au premier mot désagréable de sa part, je lui pète les dents, il a acquiescé joyeusement, même si évidemment il est pacifique (je ne suis moi-même violente que dans mes paroles, je vous rassure !). Il a juste voulu aller dans mon sens pour me rassurer car il me connaît bien. Bref, je n’ai pas eu affaire à elle directement, je l’ai juste fusillée du regard, elle a baissé les yeux, puis, voyant mon insistance, elle a souri, toute gênée. Je la hais.

Passons maintenant à autre chose, au positif. Mon frère est venu avec moi dans la chambre de chimio, a assisté à la piquouse. Moi, j’avais la nausée dès le rendez-vous avec ma cancéro juste avant. Mais l’humeur était bonne, même joyeuse, même très joyeuse. Nous avons fait un petit peu les imbéciles en se prenant en photo et j’ai ri comme jamais. Je ris encore en voyant une de ces photos. L’infirmière était très sympathique, nous avons échangé avec elle sur les tatouages et les piercings, elle nous a peut-être trouvés originaux mais elle était jeune et cool et nous avons passé un bon moment. Puis mon prince nous a rejoints, nous avons quitté l’hôpital, fait une pause au bord d’une rivière en rentrant. Entre fatigue et excitation, je les ai amusés, embêtés, fatigués un peu ! Malgré les petites nausées bien présentes sans raison médicale, j’ai passé une heureuse après-midi.

Prochaine piqûre dans deux mois. Prochain scanner dans six mois. J’ai le droit de colorer mes petits cheveux, avec un produit bio. Car oui, mes cheveux ont bien repoussé, accompagnés de tous les autres poils de mon corps… Je refais mes premiers shampooings, bon, je n’utilise pas encore de démêlant ! Je peux tomber enceinte mais je ne dois pas tomber enceinte durant les deux prochaines années. Bébé chat sera donc certainement notre magnifique mais unique enfant. 

Un 18 juillet à 7h13

Attention, des nouveaux mots vont sortir de ma bouche : je suis fatiguée ! Alors, je ne sais pas si c’est le fait de sortir à nouveau ou l’effet de la piqûre mais je suis une fois de plus affaiblie. C’est en général vers la fin d’après-midi qu’une chape de plomb me tombe sur les épaules, saisissant ainsi tout mon corps, paralysant mes muscles et mes pensées. Le moral devient alors trouble et mes idées se déforment. C’est assez désagréable. Des questions se bousculent dans ma tête, à tout moment. J’arrive à en esquiver certaines, à répondre à d’autres mais mon cerveau a bien du mal à suivre quand même. À un instant, je me sens libre et délivrée, heureuse et insouciante et l’instant d’après, le doute arrive, accompagné de ses amis l’angoisse, la peur, le mal-être. Et ce, selon les jours, selon les heures, selon ma tête et ma force. Bon sang que ce parcours est merdique, j’aimerais quelques fois me faire lobotomiser.

Un 26 juillet à 7h44

Tout n’est pas si simple. Par instants, j’ai envie de croquer la vie à pleine dent, d’absorber les rayons du soleil, même s’ils grillent plus qu’ils ne réchauffent. J’ai envie de m’amuser de tout et d’un rien, de profiter de la minute qui passe même si la fatigue se fait sentir ou pire si le stress d’être fatiguée frappe à ma tête. J’ai l’impression d’avoir 10 ans, de me ficher de tout et de me réjouir très vite. J’ai gagné une peluche à la fête foraine, j’ai crié de joie comme si j’avais gagné à la loterie. Je crois avoir été plus contente que bébé chat. Et par moments, je me dis à quoi bon puisque la maladie peut revenir, puisque d’autres vont mourir, puisqu’il y aura toujours une mauvaise nouvelle qui tombera. J’oscille entre deux mondes, beaucoup plus souvent dans le positif quand mègue (dixit bébé chat) mais je voudrais juste que l’humeur se stabilise, que les idées se posent ou se mettent en pause, que la mer soit calme, que le vent s’arrête. J’aimerais aussi avoir à arrêter de me justifier d’avoir fait cela mais pas cela, d’avoir eu envie de cela mais pas de cela, d’avoir été capable de réaliser cela mais pas cela. Tout change d’un jour à l’autre, mes envies et ma forme. Je viens d’avoir un cancer, je vais mieux mais je ne suis pas comme avant. J’ai peut-être des cheveux et des sourires, j’ai aussi de drôles de souvenirs… Certains ne comprennent pas, il faut sans doute être passé par là…

23h50

Il est très rare que j’écrive à cette heure-là. Je suis installée sur la terrasse, l’air est frais, c’est plaisant. Les grillons chantent à tue-tête. Un petit veau meugle, il a dû perdre sa maman. Quelques étoiles me surveillent. Le chat vagabonde à la recherche d’une souris. Mon esprit vagabonde aussi. Je repense à tous ces mois écoulés, au mot cancer entrant pour la première fois dans mes oreilles et prenant place dans chaque partie de mon corps, paralysant mes pensées et anéantissant mes rêves.

Je me revois appeler ma maman ce 25 octobre, sortant de la polyclinique. Comme j’aurais aimé ne jamais avoir à lui annoncer ce genre de nouvelle. Ma maman, tu as été et tu es encore si présente pour moi. Toi qui m’as portée, élevée, supportée, aidée, comprise, écoutée. J’aurais souhaité ne jamais t’infliger (à toi et à tous les autres bien sûr) tant de peur et de peine mais je n’y suis pour rien, je sais bien…

Je suis encore là pourtant. Mais une partie de moi est restée sur place ce 25 octobre. Je suis là, heureuse d’avoir survécu, mais gardant en moi un traumatisme, une épreuve, une lutte inconsciente parfois mais certaine. Il reste de belles cicatrices sur ma peau et dans ma tête. Il va falloir réparer tout cela, accepter la lenteur et la perplexité du processus. Il va falloir, il faut, il faudra… 

Vacances

Je suis contente, non pas d’aller en vacances mais d’avoir envie d’aller en vacances. Là est toute la différence. Quelques jours dans un endroit calme, entourés d’arbres et d’eau mais aussi de nombreuses activités pour bébé chat. (Je vous avais parlé de Venise, mais trop loin et trop fatigant pour le moment.) J’ai investi comme prévu dans un appareil photo, je vais pouvoir me faire plaisir, au grand dam de mon prince, qui trouve que je m’isole un peu derrière cet outil. D’ailleurs, c’est dommage que mes chevreuils ne soient pas revenus, à défaut, je photographie un levraut qui a élu domicile dans notre jardin et qui est peu farouche.

Quant à ma santé, elle suit son cours. J’ai partagé d’excellents moments de famille ces derniers jours, évidemment, je suis vite rattrapée par mon petit physique d’ancienne malade. Je me suis également fait mal à un orteil et à un doigt, suis-je maladroite ou en porcelaine, les deux peut-être… J’ai repris une petite douleur à ma cuisse, lieu du sacrilège, alors une échographie est prévue. Le mois de septembre va être bien inintéressant, rendez-vous piqûre, dentiste, ophtalmo, gényco. Et bébé chat va entrer à l’école, il sera grand temps pour moi, d’une part de couper le cordon et d’autre part de me mettre sérieusement à réfléchir à une nouvelle vie professionnelle. Alors avant de penser à cela, pensons aux vacances, préparons, que dis-je, prépare les valises, emmène trois fois trop de choses pour le fameux « au cas où », repose-toi, calme-toi, détends-toi, prends du plaisir et de l’énergie et profite !

Déconnexion partielle

En vacances, qu’il est bon de changer d’air et d’ambiance. De laisser une partie de son cerveau à la maison et de profiter de l’instant présent. Même si la déconnexion n’est pas totale. D’une part, le fait d’être en vacances me rappelle les quelques jours à la mer l’année dernière. Ma cuisse avait déjà gonflé, pas de douleur mais une plaque dure et chaude, étrange… J’avais eu cinq jours d’antibio et j’attendais que ça disparaisse. Je me revois dire à mon prince : on ne peut pas avoir de cancer à la jambe ?? Il m’avait évidemment répondu que non, presque moqueur car connaissant bien mon côté anxieux permanent et la plupart du temps inutile. J’essayais alors de me rassurer, de ne pas penser au pire mais quand je reconsidère mon ressenti du moment, je savais tout au fond de moi-même qu’il y avait un problème. Je voulais nier cet instinct primaire et inconscient mais je sentais qu’il y avait un PROBLEME. Du coup, j’ai gardé un souvenir particulier de ces vacances ou plutôt de cette intuition inexplicable qui me travaillait alors.

D’autre part, les baignades sont fort agréables mais il y a cette chambre implantable, que je tente de dissimuler ou de montrer volontairement, comme pour expliquer aux gens d’où je viens et justifier ma maigreur, mes bleus et mes poils semi-épilés, mes cheveux hirsutes quand ils sont mouillés. Et puis, j’ai très froid, plus que les autres, alors je porte maillot, gilet, blouson, écharpe et même parfois bonnet le soir alors que les autres sont juste en maillot manches longues voire courtes. Il est vrai que nous ne sommes pas dans le sud mais quand même, je suis en décalage. Parfois, j’aimerais expliquer aux gens que je suis une ancienne malade. C’est étonnant, je me demande comment ils me voient. Une excentrique, une rebelle, une débile, une ancienne cancéreuse. Peu importe me direz-vous. Je ne sais pas moi-même pourquoi je me pose cette question. Je pense qu’il reste en moi de la colère et dans l’interprétation ou pas, j’aimerais dire à certaines personnes qui me regardent bizarrement : allez vous faire voir ! Cela ne sert à rien. Mon cousin m’a dit qu’il ne fallait pas vivre dans la haine, je n’y arrive pas toujours…

Allez, du positif, je fais du vélo, mes cuisses et mes poumons ne me sont pas du tout reconnaissants. Pourtant, il est très plaisant de sentir le vent contre son visage et entendre le bruit des feuilles des arbres au passage. Je fais également une multitude de photos, je ne vois pas de bêtes sauvages mais beaucoup de chats errants, qui posent volontiers espérant obtenir à manger, des petits, des gros, des vilains, des mamans trimbalant leur progéniture dans leur gueule. Heureusement que j’adore les chats et bébé cat est heureux car il peut les caresser.  Lui, il rêve éveillé, ce qui ne l’empêche pas de ne jamais être satisfait. Il joue à n’en plus finir, découvre des choses et des amis ne parlant bien souvent pas sa langue ! Quant à mon prince, il se repose.